Suffering Morning [pv Heather]

Invité

Ô sacro sainte douleur… ô merveilleux pivert implanté dans ce crâne si pur… ça faisait un mal de chien. Non, pire. Son corps entier avait été passé au rouleau compresseur puis jeté au milieu d’une colonie de mouettes geignardes, pas d’autres explications. Elle avait la sensation de ne pas pouvoir bouger un muscle, et quand bien elle aurait réussit c’est la plus poignante des souffrances qui se serait emparée de son être. Quoi, comment ça elle exagérait ? Vous n’avez jamais connu une gueule de bois ? Et quelle heure était-il au fait ? Et où était-elle ? Rien de plus facile que de répondre à ces questions. Il suffisait d’ouvrir les yeux. Et ce fut fait… après de longues minutes. Pour y arriver, il lui fallut le concours d’une aide extérieure, et néanmoins très surprenante. Quelque chose d’humide vint se coller contre sa joue. Quelque chose qui reniflait. Quelque chose qui avait une odeur écœurante qui retournait son estomac fragile, et avait la respiration saccadée.
Ah ! Mon dieu, qu’est-ce qu’un chien faisait dans son lit ? Qu’est-ce qu’un sac de bave venait faire sur SON oreiller ? Tiens d’ailleurs, en parlant de ça, ce qu’elle sentait sous son crâne n'avait rien à voir avec le confort tendre et souple d’un oreiller de plumes. Beaucoup trop dur pour ça. Et même étrangement… friable. Ça faisait un bruit bizarre, quand elle bougeait la tête (bruit qui n’avait rien à voir avec ses pauvres cervicales). Elle repoussa la bestiole (le chien, rappelez-vous) qui avait commencé à mordiller son tee-shirt. Wow, c’était quoi ça encore ? Ce n’était pas son tee-shirt… et qu’est-ce qu’elle avait froid aux jambes. Avec une lenteur due aux quelques plaintes de ses pauvres muscles, elle se releva. Redressa, plutôt.

C’est seulement à ce moment là qu’elle compris que la fraîcheur de l’air était en réalité due à une agréable brise d’été, et que son réveil matin baveux était le compagnon d’une petite vieille à l’allure raisonnablement rose. Par mesure de sécurité, elle frotta son visage de longues secondes, espérant sortir de sa léthargie autant que de ce rêve plutôt désagréable. Mais ce n’en était pas un, de rêve. Un cri déchirant s’éleva au milieu des arbres de Riverside Park. Réfléchissons… hier, elle s’était rendu au Babylon pour une soirée toute en champagne et champignons hallucinogènes, en compagnie de deux ou trois inconnus sans importance. Et puis… rah, où était la suite ? On lui avait enlevé un bout du cerveau pendant son petit coma, et sa mémoire était partie avec. Et voilà que maintenant (il devait être aux alentours de 10 heures du matin à en juger par le soleil), elle se retrouvait allongée dans l’herbe moelleuse de Riverside Park, avec un tee-shirt « I Love New York », sans chaussures, pantalon ni soutien-gorge. Merde.

Et voilà également comment, aux alentours de 10 heures du matin, en ce beau Lundi, une brunette mal réveillé au visage de déterrée commença à marcher pieds nus dans l’idée de trouver un café. Ce qui finit par arriver. Un pur miracle. Elle rentra dans l’établissement, s’installa à une table et commanda un café noir avant de s’écrouler lamentablement sur la banquette en cuir prise d’assaut. Le serveur, guère habitué à ce genre de situation, fixait à présent les genoux de la jeune femme, seuls à dépasser de la table. En bafouillant à moitié, il finit par trouver le courage de lui demander comment elle comptait payer. Elle rouvrit un œil, puis consentit à se rasseoir, passablement agacée. Un sombre regard charbonneux fixa le pauvre serveur. Où voulez-vous qu’elle mette un portefeuille, dans un accoutrement pareil ?

_ Je vais sortir le fric de mon…

Quelqu’un fit tomber une assiette et diverses porcelaines dans un fracas épouvantable, couvrant la fin de la phrase. Finalement, elle donna son nom et, après quelques vérifications élémentaires, elle eut enfin son café. Dieu bénisse l’Amérique. Une fois la caféine bien dissolue dans ses veines, elle commanda un second café d’un claquement de doigt, à peine gênée de sentir les regards bizarres des autres clients. Tout ce qui manquait à son paradis actuel, maintenant, c’était une clope. Y aurait une âme assez charitable pour… bon, d’accord. Difficile de demander ça sans avoir l’air d’une junkie en manque, vu sa dégaine actuelle.

Une odeur douçâtre, une sonnerie stridente, des cris et des pleurs. Il n'était certes pas évident de rêver encore et encore du même incendie qui allait ravager son appartement, et pourtant Heather Stevens, elle, en rêvait assez régulièrement; trop régulièrement à son gout. Alors qu'elle s'assoupissait pour peut être trois heures de sommeil -après son habituelle sortie au Babylon ou autre boite branchée- elle ne pensait pas aux moutons qui sautaient inutilement par dessus une clôture, non la jeune femme pensait aux flammes qui dévoraient peu à peu son dressing et ses produits de beautés. Vous me direz qu'elle était étrange, mais c'était la peur qui l'animait plus qu'autre chose. Si vous avez vécu quelque chose d'angoissant ou même de traumatisant dans votre vie, vous comprendrez, car seul ceux qui ont vécu pourraient témoigner de cette peur qui vous dévorait lentement et inexplicablement de l'intérieur. Pour en venir aux faits, la jeune Heather, agée alors de cinq ans, avait été sauvée in-extremis par sa gouvernante alors que le four avait pris feu; absorbée par le spectacle rapide et psychédélique qu'offrait le feu qui léchait la tapisserie, la petite fille n'avait pas senti le danger, et lorsque la dame qu'elle avait affectueusement appelée "servante" l'avait arrachée de la place où elle avait pris racine, elle n'avait pas compris ce geste pourtant très courageux et avait fini par jeter son écharpe Burberry au milieu des flammes où en un instant le morceau de tissu disparut. Si vous croyez après cette anecdote, que Heather était le genre de mini-princesses à n'en faire qu'à leur tête, vous avez tort. Oui, elle avait été capricieuse, mais une fois son enfance passée, et une émancipation à son actif, son caractère avait considérablement changé. C'était donc ni passionnée, ni attentive qu'elle observait les flammes cette fois-ci, mais effrayée et lucide. Tremblant, comme un lapin devant un renard affamé, devant ce qui l'attendait.

Baignée de sueur, la peur inscrite dans le regard effaré, Heather attrapa de grandes goulées d'air tout en défroissant nerveusement ses draps de soie, au souvenir de son cauchemar. Elle sentait que ce n'était pas qu'un simple rêve, mais plutôt comme une prémonition. Oui il était vrai, que la situation était peu probable et que Heather Stevens, résidant au Greenwich Village, n'avait vraisemblablement pas de pouvoirs mystiques lui permettant de voir dans le futur, mais il y avait ce quelque chose qui clochait.

En sortant, vêtue d'un ensemble Yohji Yamamoto noir, la jeune femme tomba sur une de ses connaissances avec laquelle elle s'empressa de fixer une date pour une prochaine soirée, où ils allaient encore passer la soirée à boire et à renifler. Si elle n'en avait pas assez une fois pour toute? Non, surement pas c'était bien trop amusant d'être complètement à l'ouest tout en s'aspergeant de champagne. D'ailleurs en parlant de soirée dingue... elle venait d'en passer une, et si elle n'avait pas enchainé avec une bonne dose de speed elle n'aurait pas été capable de tenir encore une journée. Il était vrai qu'elle avait à s'occuper d'un petit enfant etc, mais rien ne valait l'amusement que procuraient des soirées/matinées comme celle-ci. Et même si au départ elle avait l'air d'un cadavre, il y avait toujours occasion d'arranger cela. D'ailleurs, elle avait l'air plutôt présentable si on observait bien. Et puis même, son organisme s'était visiblement habitué aux mélanges explosifs qu'elle faisait. Mais en discutant apparence physique, voilà quelqu'un qui n'avait pas l'air bien. En observant les grandes baies vitrées du café devant lequel elle était passée, il lui avait semblé reconnaitre quelqu'un. Une petite brunette, cheveux mi-longs, une apparence certes classique, mais elle était reconnaissable entre milles. Il lui avait semblé la voir avec Jean, une petite bourgeoise qui s'amusait à refiler des trucs hallucinogènes, enfin... rien n'était moins sûr, mais vu son accoutrement et sa mine, elle avait dû passer une très bonne nuit...

"Hé... je te connais toi, tu étais au Babylon hier, ou aujourd'hui... enfin c'est pareil..."

Rentrée dans le café, elle s'était laissée servir un café puis avait accosté la jeune femme qui était à présent devant elle. Si ce n'était pas elle, tant pis, elle aurait trouvé un nouveau sujet de conversation avec une de ses amies: les clochards modernes. Si c'était elle tant mieux, car même si là elle n'était pas au top de sa forme, la veille la brune avait semblé rayonnante et surtout très endurante dans la durée des drogues. En sirotant lentement sa boisson brulant, elle finit par relever ses lunettes de soleil YSL, puis observa longuement la mine de son interlocutrice. Devait-elle lui conseiller le centre où elle se faisait également "soigner" tous les deux jours? Car honnêtement, à moins d'être quelqu'un de très équilibré, la peau et le corps ne suivaient pas le rythme très endurant que leur infligeait miss Stevens.

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